Relecture féminine du Coran

Publié le par Collectif des Féministes pour l'Egalité

Les femmes – relecture féminine du Coran.

 

Par Layla Laure Bousquet*

 

 

Si, depuis un peu plus d’un siècle, le Coran est revisité par quelques interprètes contemporains, le fait que des femmes aient entrepris de l’étudier du point de vue de leurs expériences est, lui, très récent. Essayer de faire une re-lecture « post-patriarcale »3, comme l’a exprimé l’une d’entre elles, pour aborder cette question si controversée des « femmes et l’Islam », est un véritable « jihâd ».
A l’image des femmes juives et chrétiennes qui, depuis trente ans environ, se sont emparées des textes bibliques et évangéliques en pratiquant une nouvelle herméneutique qui prend en compte leurs vécus de moitié de l’humanité en lutte pour sa libération et à qui Dieu s’adresse également, nous sommes quelques-unes en Islam à faire ce même travail d’exégèse patiente et vivifiante.

Voici quelques exemples :

 


1 - L’étude du premier verset de la sourate 4 (Les Femmes) et en particulier des termes « nafs wâhida» et de « zawj» qui le composent.

 


Maintes traductions, interprétations et commentaires désignent « nafs wâhida» comme équivalent à Adam pris comme synonyme d’un être masculin et « zawj» comme son épouse, ce qui revient à reproduire le schéma classique habituel qui fait du masculin le premier et du féminin la deuxième tirée de celui-ci. Or, « nafs» est un mot, féminin en arabe, qui signifie le principe vital, la respiration, le souffle de vie et « zawj » indique à la fois la paire, le couple et chaque élément couplé. Dans le Coran, il est utilisé tantôt pour désigner le masculin (2-230 – 58-1), ou le féminin (4-20 — 2-102). Nos relectures féminines insistent sur cette réalité coranique non anthropomorphisée de l’humanité ayant une origine unique qui se dualise et devient multiple. L’imaginaire collectif ne travaille pas de la même façon selon que l’on traduit : un seul être dont Il a créé son épouse ou un principe vital de vie unique, ou un souffle de vie unique, ou encore un seul respire —un soi unique— dont Il a créé la paire.
Une étude récente très poussée de ce verset est faite par, d’une part Amina Wadud-Muhsin, universitaire malaise, dans son livre intitulé « Qur’ân and Woman »4 et, d’autre part, par Riffat Hassan, universitaire pakistanaise enseignant aux Etats-Unis, dans l’article cité plus haut.

2 – L’histoire d’Adam

 


La re-lecture de ce verset 4-1 fait écho à celle des passages coraniques où nous est contée l’histoire d’Adam et où l’accent est mis sur le sens du mot Adam comme qualité de l’humanité en tant que « khalîfa », vice-gérance de Dieu sur terre. Dans les récits coraniques de l’établissement de cette
« khalîfa », tous les verbes arabes utilisent la forme du duel. Ainsi, l’expression « Adam wa Zawj » que beaucoup comprennent comme Adam et Eve, (même si le mot Eve n’apparaît jamais dans le Coran) est entendue par les auteurs déjà mentionnés, en consonance avec nos propres études5, comme paire adamique qui prend ensemble la responsabilité du choix de la désobéissance, autrement dit de la liberté. De plus, cette forme duelle confirme qu’une création postérieure, subalterne, tentatrice, tentée et seule instigatrice d’une « chute » sur une terre de malheur est non coranique.
Enfin, les versets qui ont jusqu’ici été utilisés pour affirmer une suprématie masculine sur les femmes, font l’objet d’études très intéressantes. Outre le verset 228 de la sourte 2 du fameux « darajatan», le verset 34 de la sourate 4 donne lieu à de nouvelles interprétations, entre autres de « Ar-rijâlu qawwâmûna `alâ-n-nisâ’ bi mâ faddala-Llâhu » et du tristement célèbre « wa-dribû-hunna ». Nous voudrions ici évoquer le travail d’un groupe de femmes iraniennes responsables d’une revue, qui vit le jour en 1992, intitulée « Zanan »6. Y sont régulièrement publiées des études approfondies qui remettent en question les lectures masculines du Coran, du fiqh et autres sources islamiques sur tout ce qui concerne les rôles spirituels, sociaux et individuels des femmes. Dans ce remarquable travail d’ijtihâd contemporain mené avec patience et détermination, l’on trouve pour « qawwâmûna `alâ-n-nisâ’bi…» une analyse de la racine Q W M avec préposition Bi qui signifie soutenir, et non pas être maître. Pour l’expression « wa-dribû-hunna», il est montré que la racine D R B a des sens multiples aussi divers que contradictoires, « allant de battre à avoir des rapports sexuels, prendre des mesures pour mettre fin à, accompagner, rester à la maison, se détourner de, quitter, changer… »
Ce « gender jihâd » comme l’a surnommé un savant d’Afrique du Sud qui, lui aussi, revisite tous les concepts fondamentaux coraniques : Islam, kufr, îmân, taqwâ, jihâd dans le contexte de la lutte des musulmans de son pays contre l’Apartheid, participe d’un effort « d’humanisation du monde en humanisant la parole de Dieu »7.

 

A notre humble niveau, il nous semble que nous pouvons et devons collaborer à cette entreprise de libération avec l’aide de Dieu.

 


* Layla Laure Bousquet est professeur d'Anglais, Ubayd-Allah Maurice Gloton est écrivain, traducteur et ‘Abd al-Halim Jean Loup Herbert est anthropologue.
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